Les brèves

Défense, décarbonation, cybersécurité  : l’aéronautique et le spatial en mutation

L’industrie aéronautique et spatiale traverse une période de transformations importantes, marquée par les impératifs de défense, l’urgence climatique et les menaces cyber. Première région aérospatiale d’Europe, l’Occitanie anticipe ces transitions. Elle voit se multiplier les implantations d’entreprises d’avenir et les initiatives entrepreneuriales.

Le drone de reconnaissance DT26 de Delair au-dessus du massif des Pyrénées.

Crédits : ©Delair

Sur le statique et dans les halls du Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace Paris-Le Bourget, les regards convergent vers les géants de l’aéronautique, mais ce sont aussi les histoires moins visibles, celles des PME et des startups, qui dessinent l’avenir du secteur. L’aéronautique, à l’intersection de la défense, de l’énergie et de l’intelligence artificielle vit une révolution portée par une myriade d’initiatives entrepreneuriales. L’édition 2025 du Salon du Bourget met en lumière la capacité d’innovation des entreprises du secteur. 130 entreprises d’Occitanie participent au rendez-vous mondial et le Pavillon Occitanie, sur 625 m2, accueille 40 entreprises dont 14 startups.

L’année des drones

Tous les conflits armés en cours montrent le nouveau rôle décisif des drones. À Toulouse, Delair s’est imposée comme l’un des fers de lance de la filière et est en passe de réussir un pari lancé il y a 14 ans à Toulouse. Selon Bastien Mancini, CEO de Delair, « l’entreprise a l’objectif de devenir le leader européen du marché. Delair devrait réaliser 60 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2025 et vise 100 millions d’euros à court terme. Actuellement, 80% de l’activité se fait sur les marchés de la défense mais nous avons vocation, explique Bastien Mancini, à développer l’activité civile car les usages se développent. » Delair, qui vient de passer le cap des 200 salariés, veut développer plusieurs axes technologiques : l’énergie (un partenariat est en cours avec Ascendance), le traitement d’image avec l’intelligence artificielle, la guerre électronique, les essaims et la certification. Au Salon du Bourget, Delair a aussi lancé le DT61, un drone de 100 kilos et 6 mètres d’envergure dédié à l’inspection et à la surveillance de grands espaces terrestres et maritimes.

La filière drone, stratégique pour la surveillance et le renseignement, bénéficie d’un soutien accru : 7 millions d’euros vont être dédiés à la consolidation de la filière dans le cadre plus global du nouveau Plan « Souveraineté et Industrie de Défense ». 6 millions d’euros ont par ailleurs déjà été investis dans des projets associant hydrogène, IA, cybersécurité et sécurité civile pour diversifier la flotte de drones. Parmi les projets clés, le projet Mermoz développé par ISAE-SUPAERO, Delair et H3 Dynamics porte sur un drone à hydrogène capable de voler sans escale jusqu’au Brésil ; le projet INDRA porté par Delair, Adagos et UT3, vise à optimiser la gestion des batteries ; le projetINEMAR, mené à Montpellier par Diodon Drone Technologie, DONECLE, TMI-Orion et ISAE-SUPAERO concerne l’inspection des éoliennes en mer via drone et robot sous-marin. Enfin, le projet Manghaby impliquant Delair, Hycco et ISAE-SUPAERO, développe un drone électrique de longue endurance propulsé à l’hydrogène.

200 millions d’euros et 20 mesures pour l’industrie de défense

Au cœur des préoccupations stratégiques, la défense aéronautique connaît une mutation accélérée. La guerre en Ukraine a révélé l’urgence de l’autonomie technologique et la nécessité de renforcer la défense et l’industrie européenne.

L’Occitanie est un territoire stratégique pour l’industrie de la défense. La région compte 25 000 emplois dans la défense soit 15% des effectifs nationaux de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD), le centre d’excellence de l’OTAN et le Commandement de l’Espace à Toulouse ainsi que le cluster Primus Défense & Sécurité qui regroupe 56 entreprises. À l’occasion du Bourget, la Région Occitanie lance un plan « Souveraineté et Industrie de Défense ». Il sera doté de 200 millions d’euros sur la période 2025-2030. 100 millions d’euros seront notamment consacrés au Fonds Défense et Industrie du Futur. Rattaché au Fonds Souverain Régional et cofinancé avec des acteurs institutionnels tels que Bpifrance et des acteurs privés et industriels (banques, mutuelles, grands industriels), il accompagnera des projets de R&D, d’innovation ou d’investissements productifs stratégiques. Il aura vocation à prendre des participations dans des entreprises stratégiques, à distribuer des prêts ou à les garantir. 50 millions d’euros devront soutenir un Appel à Manifestation d’Intérêt ouvert jusqu’en juin 2026 pour l’innovation, la souveraineté et la réindustrialisation des territoires ; 20 millions d’euros seront consacrés au financement de 5 000 places de formation ; 2 millions d’euros permettront de doubler l’accompagnement cyber des entreprises stratégiques. La digitalisation croissante des aéronefs, la sophistication des menaces et les cyberattaques contre les sous-traitants aéronautiques imposent en effet de consolider la cybersécurité et de défendre les systèmes d’information critiques. En Occitanie, le centre de cybersécurité Cyber’Occ regroupe 75 entreprises adhérentes et attend sa labellisation de campus cyber territorial qui sera installé à Labège, au sein de la Data Valley.

Décarbonation : à la recherche de nouvelles solutions pour voyager

L’Occitanie fait figure de cheffe de fil avec de nombreuses initiatives et un plan « Avion Vert » lancé en 2022 et doté de 150 millions d’euros jusqu’en 2030. A mi-parcours, près de 100 M€ ont déjà été engagés pour accélérer la transformation de la filière. Parmi les projets marquants, Aura Aero compte commercialiser en 2030, l’ERA-900, avion électrique hybride de 19 places, destiné aux compagnies aériennes régionales. L’entreprise qui compte déjà 250 salariés a déposé fin 2024 un permis de construire pour l’Aura Factory, une usine de 45 000 m2 à Francazal, au sud de Toulouse.

Le Salon du Bourget est aussi l’occasion de nouvelles annonces pour Ascendance. La deeptech, créée en 2018, rend publics de nouveaux partenariats stratégiques pour accélérer l’adoption de l’aviation hybride-électrique en Europe via sa plateforme de propulsion hybride et via l’ATEA, un appareil à décollage et atterrissage vertical à propulsion hybride électrique. Ces partenariats sont destinés à structurer une chaîne de valeur dédiée (avec Aerolease - location d’avions bas carbone -, et Finistair -opérateur régional-) ainsi qu’à structurer un réseau de distribution (avec Leman Aviation). Jean-Christophe Lambert, co-fondateur et CEO d’Ascendance annonce aussi « un partenariat stratégique avec Airbus qui valide la pertinence de notre vision : proposer une technologie concrète, réaliste et adaptée aux exigences du monde aérien. »

Autre voie explorée pour la décarbonation de l’aviation, le développement des carburants durables (SAF, Sustainable aviation Fuel) afin d’alimenter, via une production locale, l’ensemble des aéroports régionaux à horizon 2030. Plusieurs projets de production régionale de SAF sont en cours, portés par les entreprises MGH Energy et KHIMOD en lien avec Elyse Energie.
La Région a aussi accompagné l’entreprise de Béziers Genvia, fabricant d’électrolyseurs à haute température, en devenant actionnaire au capital de la société. Enfin le Technocampus Hydrogène, plus grand centre européen de recherche porté par la Région Occitanie, d’essai et d’innovation sur l’avion vert en Europe prévoit quant à lui de réunir sur un même lieu des chercheurs (CIRIMAT, IMFT, Laplace, LGC) mais aussi des industriels (Airbus, Safran, Continental, Genvia, Air Liquid, H2 Pulse).

Référence mondiale du spatial

Pour le spatial, l’édition 2025 du Bourget est marquée par les enjeux de décarbonation du secteur, la nécessité d’adapter les opérations spatiales aux nouvelles menaces ainsi que la reconquête de l’autonomie européenne. La nouveauté du salon c’est l’installation du « Paris space hub », un espace de 2 500m2, où, aux côtés des institutions clés que sont le CNES, ESA, ou l’OTAN et des grands donneurs d’ordre (Thales Alenia Space, Airbus Defense and Space), des équipementiers, systémiers et entreprises innovantes occitanes sont présentes. Sur le Pavillon Occitanie, est notamment présente Aiko, la compagnie deeptech spécialisée dans le développement de logiciels pour autonomiser et optimiser les opérations spatiales grâce à l’intelligence artificielle. À découvrir aussi sur le Pavillon Occitanie, The Spaceflight Institute. Incubé par le programme TechTheMoon de Nubbo puis par ISAE-Supaero, l’entreprise commence à former des astronautes ou des experts en vols habités. « La réduction du coût d’accès à l’espace et l’ouverture au secteur privé d’activités en orbite va nécessiter de disposer de davantage d’experts, explique son président Ugo Bonnet. À l’avenir, les astronautes travailleront à la maintenance des stations privées amenées à remplacer la station spatiale internationale (ISS). Ils travailleront aussi dans les opérations de secours ou dans le domaine de la recherche. » The Spaceflight Institute finalise actuellement une levée de fonds et propose trois parcours de formations pour les entreprises ou les agences spatiales du monde entier. « Nous avons reçu 200 candidatures venant de 40 pays, se réjouit Ugo Bonnet. 10 ont été sélectionnés dont 5 français. »

Également présents au Salon du Bourget, Loft Orbital Technologies, Astroscale qui installe à Toulouse un centre d’assemblage et d’intégration de satellites destinés à récupérer les déchets spatiaux qui seront ensuite désintégrés dans l’atmosphère ; ou encore Look Up Space qui a levé 20 millions d’euros - l’un des plus importants tours de table pour une startup spatiale en Europe – et s’appuie sur un réseau mondial de radars permettant de détecter les plus petits débris spatiaux (moins de 10 cm). Objectif de l’entreprise, bien en phase avec les enjeux économiques actuels : contribuer à une indépendance européenne.

Un poids économique majeur

Le secteur aéronautique et spatial en Occitanie représente un poids économique et industriel majeur. La région compte 83 000 emplois dans la filière, dont 15 000 dans le spatial et 68 000 dans l’aéronautique, concentrant ainsi 40 % des effectifs nationaux du secteur. L’industrie aéronautique et spatiale représente 30 % de l’emploi industriel régional et un tiers des emplois européens dans le spatial. Plus de 900 entreprises y exercent une activité dédiée à la filière, parmi lesquelles près de 700 emploient plus de 10 salariés. Le chiffre d’affaires du secteur aérospatial, hors constructeurs, atteint près de 18 milliards d’euros. L’Occitanie est par ailleurs le premier pôle français d’enseignement supérieur et de recherche en aéronautique et spatial. L’Occitanie consacre 3,5 % de son PIB à la recherche et développement, ce qui en fait la première région française en la matière selon l’INSEE en 2021.