
Jean-Marc Bouchet, un pionner des énergies renouvelables en Occitanie depuis 40 ans.
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À 64 ans, la même passion entrepreneuriale anime Jean-Marc Bouchet, fondateur et président de Qair (énergies renouvelables, Montpellier). « Je m’amuse beaucoup. Ce qui me mobilise, c’est le bonheur de venir travailler le matin, de faire des choses qui me plaisent, dans les énergies renouvelables. Et c’est comme ça depuis 40 ans ! » Né en 1960 en Algérie, l’homme d’affaires, au langage volontiers imagé, est un enfant de la Méditerranée. « Nous vivions dans la baie d’Alger. Enfant, je n’avais qu’à descendre quatre marches pour être dans la Méditerranée. » Sa famille est restée en Algérie jusqu’en 1965, après l’indépendance de 1962, car son père y dirigeait alors une entreprise de charpente métallique. « Mais nous avons été contraints de partir. La situation devenait très compliquée pour mes parents », glisse celui qui s’est depuis installé à Béziers.
Jean-Marc Bouchet a d’abord été capitaine au long cours. Naviguant sur toutes les mers du globe, il a développé « une sensibilité à l’environnement : terre, eau, feu, air », confie-t-il. Mais l’évolution du secteur - conteneurisation, accélération des trajets- et la construction d’une vie familiale, rythmée par la naissance de cinq enfants, le poussent à quitter la mer. « Partir trois semaines en mer, ce n’est pas idéal pour une famille. J’ai repris des études, pour devenir ingénieur Supélec. »
Il entre ensuite dans une filiale de Vinci Énergies à Toulouse, et met le cap sur les énergies renouvelables. Il débute sa carrière dans une centrale hydroélectrique à Prats-de-Mollo, dans les Pyrénées-Orientales. Frappé par la beauté des lieux, le jeune ingénieur supervise les installations de câbles. Il découvre l’énergie hydraulique, et s’émerveille de pouvoir mettre en place un système de récupération de la force de la nature. « L’eau qui rentre, l’électricité qui sort : je trouvais cela incroyablement satisfaisant ! C’était un peu comme les barrages qu’on construit, enfant, sur la rivière. » Ce fil le guidera sa vie durant : récupérer l’énergie des éléments naturels.
Après les turbines hydrauliques, souffle le vent des éoliennes. La rencontre avec Pâris Mouratoglou, visionnaire dans les énergies renouvelables, sonne comme une révélation. « Pâris m’a donné le déclic de l’entrepreneuriat, en me faisant comprendre que je pouvais transformer cette passion en investissements rentables. » Il fonde Énergies du Midi, et en 1989, implante une première centrale éolienne à Portel-des-Corbières, dans l’Aude. La société est ensuite revendue à EDF. Jean-Marc Bouchet n’y fera qu’un court séjour. « Je ne me sentais pas à ma place dans un grand groupe. Les reporting, ce n’est pas vraiment pour moi… J’ai créé JMB Énergies, qui a fusionné en 2013 avec Aérowatt pour donner naissance à Quadran. » En 2017, Quadran est en partie cédée à Total (ex-Direct Énergie). « Nous avons gardé les choses les plus compliquées, et à dimension internationale », glisse-t-il avec un brin de malice.
Eolmed, une grande œuvre de 10 ans
C’est ainsi que Qair développe, depuis 8 ans, des projets (hydrogène renouvelable, éoliennes en mer, centrales solaires…) en France mais aussi en Ecosse, au Brésil, en Islande… Tout cela, depuis l’Occitanie, terre à laquelle il reste fidèle depuis 40 ans. Il forme notamment le consortium Eolmed, ferme pilote d’éoliennes en mer au large de Port-la-Nouvelle. Lancé en 2015, le projet est enfin en train de devenir réalité, avec une mise à l’eau des éoliennes prévue dans les prochains mois. Le projet industriel est certes en butte à des tensions budgétaires, et Jean-Marc Bouchet est vite intarissable sur ce point. « L’État refuse d’indexer le tarif de rachat de l’électricité, alors que la facture s’est alourdie en 10 ans, s’agace-t-il. Notamment avec une explosion des coûts de l’acier et le recours à des sous-traitants locaux (dont Matière TP, à Figeac), qui sont plus chers que leurs concurrents chinois. Et on nous demande de vendre l’électricité au prix de 2015 ! Qair est une ETI, qui choisit de construire les flotteurs en France, et sommes au final pénalisés. C’est d’une injustice absolue. »
Les éléments constitutifs des trois éoliennes – flotteurs, mâts, turbines, pâles - ne manqueront pas de faire le tour des télévisions, journaux et réseaux sociaux. Chaque flotteur mesure en effet 45 mètres de côté, 17 mètres de haut et pèse 3.500 tonnes ! Les pièces, acheminées à Port-la-Nouvelle, vont être ripées dans les prochaines semaines sur une barge, qui les emmèneront sur le lieu d’implantation, à 18 km des côtes. Suivront ensuite l’installation des éoliennes, et leur raccordement. « Il faut aller voir ces projets pharaoniques, très imposants. Ce seront des Arcs de Triomphe en mer ! », insiste-t-il, fier de ce chantier logistique et maritime, qui vient symboliser la transition écologique en Occitanie, et aussi une réindustrialisation de cette partie de la région. L’impact visuel, depuis la côte, de ces cathédrales des mers, dont les pales mesureront 164 mètres de diamètre, l’ensemble atteignant 200 mètres de haut, sera très limité.
Le calendrier est serré, car dépendant de la météorologie marine. « La fenêtre est étroite. La mise à l’eau des flotteurs est prévue entre fin avril et début mai. Engie (qui va mettre en service une autre ferme pilote de trois éoliennes, également à partir du port de Port La Nouvelle, à travers le consortium EFGL, ndlr) prévoit d’intervenir à la même période. Nous devons nous coordonner au mieux, en évitant le jours d’immobilisation pour les navires spéciaux, venant d’Atlantique Nord, que nous louons, et prenant en compte différents risques : météo, mer agitée… »
Huile d’olive dans l’Aude
Trois de ses cinq enfants travaillent à ses côtés : l’un chez Qair, deux chez Captain Watt, la holding familiale. Celle-ci détient, avec Alexis Munoz, le Domaine de Baudrigues, près de Carcassonne. « On y a planté 80.000 oliviers. On en prépare 70.000 de plus. C’est certes un secteur d’activité très différent, mais finalement un peu comme les énergies renouvelables : là aussi, on joue avec la nature. » Un moulin va être bâti, pour produire une huile d’olive « de qualité, et accessible ». Il s’agit aussi d’un vrai projet de territoire. Plusieurs dizaines de créations d’emplois sont prévus. La mémoire du site sera soigneusement protégée. Ce château du XVIIIe siècle a en effet été un lieu de détention de résistants pendant la 2e guerre mondiale. Dix-neuf d’entre eux y ont péri à la Libération, en août 1944. Ce lieu de mémoire et d’histoire sera valorisé et ouvert prochainement aux visites du public.
« On s’en fout, on a raison ! »
Jean-Marc Bouchet se concentre, avec discrétion – « Je n’aime pas la lumière, je n’ai pas besoin de ça », déclare-t-il à l’envi - sur le développement de Qair. Il en parle comme d’une aventure « hors du commun ». Il se réjouit de voir enfin les énergies renouvelables s’imposer. « Au début, dans les années 90, on nous prenait pour des doux rêveurs. J’ai vécu une révolution ! »
Quand on le questionne sur les difficultés de la transition énergétique – acceptabilité des projets, enjeux de financement, instruction des dossiers, complexité des normes et réglementations… -, il rétorque avec enthousiasme : « On s’en fout : on a raison ! Des soubresauts dans la filière, j’en vis depuis 40 ans. »
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