Les portraits

Olivier Baron, l’homme qui fait pousser les arbres des années 2070

Directeur des Pépinières départementales de l’Aude, il a fait de son métier un observatoire privilégié des effets du réchauffement climatique. Passionné depuis l’enfance par la vie des arbres, il fait évoluer la palette végétale pour préparer l’Aude au climat futur en se projetant à l’horizon 2070 - 2100.

Olivier Baron dans les tunnels de la pépinière départementale de Lézignan-Corbières dans l’Aude.

Crédits : ©Stéphanie Limongy - Département de l’Aude

Olivier Baron sait dire les choses très tranquillement mais il le fait sans détour. « Avec les Pyrénées Orientales et l’Hérault, l’Aude est en première ligne face au réchauffement climatique ; il faut se préparer à de nouveaux paysages. »

Directeur des pépinières départementales de l’Aude, le métier d’Olivier Baron est de produire des plants d’arbres et d’arbustes pour les mettre gratuitement à disposition des mairies et des collèges du département. Sur les deux sites des pépinières – à Lézignan-Corbières et à Nébias-, Olivier Baron produit avec ses équipes 75 000 plants par an, sur cinq hectares. Cette mission, menée depuis 20 ans, l’a conduit à observer les effets déjà en cours du changement climatique. Bien avant 2022, année révélatrice de l’ampleur des phénomènes de sécheresse, Olivier Baron s’est lancé dans un projet d’ampleur : anticiper les effets du changement climatique sur l’évolution des plantes et proposer une gamme végétale capable de résister à un climat aride, comparable à celui de l’Andalousie ou du Maghreb.

D’un climat méditerranéen à un climat désertique

« Nous n’avons pas d’autre choix que de faire évoluer notre gamme de plantes avec des plantes hyper résistantes à la sécheresse. Je peux même parler d’une gamme aride. À Lézignan, lors de l’hiver 2023-2024 on a eu 430 mm de pluie ; or de 0 à 400 mm, une région est considérée comme désertique »

Face au changement climatique, explique Olivier Baron, il y a deux écoles : celle qui mise sur le tout « végétal local » estimant que le capital génétique des plantes locales leur permet de s’adapter en activant par exemple des gènes de résistance au vent ou à la sécheresse. L’autre école, à laquelle se réfère Olivier Baron, considère qu’il ne sera pas suffisant de privilégier des plantes locales. Car privées de la quantité d’eau minimum dont elles ont besoin, elles dépérissent. « Aujourd’hui constate-t-il, on voit mourir des cistes, des romarins, des chênes verts qui ont besoin d’au moins 500 mm de pluie par an. Dans la Montagne noire, les arbres ne sont plus du tout adaptés, ils souffrent terriblement et doivent être remplacés. Puisque l’on s’achemine vers un climat aride, je suis favorable au principe de la migration assistée, une façon de donner un coup de pouce à la nature pour que nos territoires ne soient pas déserts. »

Sur ce terrain, le département de l’Aude est en pointe depuis de très nombreuses années. Convaincue qu’il faut inscrire ses choix dans le temps long, la collectivité a toujours tenu à maintenir ses pépinières dans le giron du public. En France, il y a cinq pépinières départementales dont trois sont situées en Occitanie.

La migration assistée pour introduire de nouvelles espèces

Pour accélérer l’adaptation au réchauffement climatique en cours et futur, la migration assistée consiste à aller chercher des provenances, sous formes de graines, dans des régions plus chaudes et sèches et à introduire des espèces adaptées aux nouvelles conditions. Dans les tunnels de la pépinière de Lézignan que nous sillonnons au fil de cette rencontre, Olivier Baron montre alors les plantes destinées à supporter le climat à l’horizon 2070-2100. Il énumère : « le chêne du Liban, de Hongrie, du Mexique très résistants ; l’arbre à miel, une espèce d’arbres originaires des montagnes du nord de la Chine ; le kaki sauvage ou encore le pistachier de l’Atlas au Maroc qui supporte des écarts de température entre -15 degrés et + 50. »

Une démarche scientifique et collaborative

Pour opérer cette profonde transformation, Olivier Baron privilégie le partage d’expérience et le travail scientifique.Il travaille en réseau avec d’autres pépinières.

En 2022, il a fait appel à Thierry Lamant, expert arboriste à l’Office National des Forêts (ONF) pour proposer la constitution d’une palette végétale adaptée aux changements climatiques dans l’Aude. Dans une étude très complète, l’expert a suivi un scénario qui prévoit une augmentation moyenne de 4°C à l’horizon 2070-2100. Il a réalisé des projections en se basant sur le climat de Badajoz en Espagne, et propose une gamme de végétaux adaptés à une situation climatique actuelle, comparable à celle de la ville du sud-ouest de la péninsule ibérique. L’objectif est de s’assurer que les essences présentes dans cette palette soient en adéquation avec le climat contemporain mais aussi vis-à-vis du climat futur.

La nature a toujours le dernier mot

Concrètement, les pépinières départementales de l’Aude agissent déjà pour le futur. En 2024, raconte Olivier Baron, tous les élèves du collège Rosa-Parks de Lézignan ont planté au moins un arbre ou un arbuste. Au total plus de 300 plants fournis par les pépinières départementales qui n’ont pas besoin d’être arrosés et qui peuvent rafraîchir naturellement les salles de classes. » À la question de savoir si le changement climatique l’angoisse, la réponse est claire : « non, mais il faut tout faire pour encourager la diversité : mélanger arbres, arbustes, potagers pour créer des systèmes résilients et bénéfiques pour la faune et la flore. Refuser d’utiliser de la tourbe importée et rechercher des mélanges de terreau plus durables et locaux. » Enfin pour tout un chacun, il conseille de créer des jardins mêlant différentes strates végétales pour limiter les besoins en eau et favoriser la biodiversité.

Jamais, depuis l’enfance, Olivier Baron n’a envisagé un autre métier que celui de pépiniériste. Aujourd’hui, à ses yeux, le chemin est clair et le doute n’est pas permis : « c’est la nature qui a toujours le dernier mot ».